Voici le commentaire des éditions Nouvelles Plumes pour refuser mon deuxième manuscrit.
"Votre livre Des villes sans mémoire a été refusé
Les explications
Nous recevons des milliers de manuscrits et sommes contraints de tous les trier avant de les soumettre au comité.
Dans votre cas, votre livre a été refusé pour les raisons suivantes :
Nombre de caractères insuffisants Trop de fautes d'orthographe Manuscrit illisible Autant d'excuses préremplies que l'on souhaite
Vous pourrez toujours re-soumettre votre livre modifié (en re-créant un compte car celui-ci va être supprrmé), et vous aurez à nouveau toutes vos chances !
Merci et à bonne chance dans votre recherche d'éditeur."Je vous laisse juger sur pièce avec le premier chapitre que je vous offre. N'hésitez pas à émettre vos critiques, je les prends très bien lorsqu'elles sont justes.
Des villes sans mémoire
« On se souviendra
De ceux qui commettent un crime
Un jour
De tous ces chasseurs de primes
Et puis
D’oublier la vie
D’un homme extraordinaire ».
Les Innocents
« Plus une chose est bizarre, moins elle comporte finalement de mystère. Ce sont les crimes banals, sans relief, qui sont vraiment embarrassants, de même qu’un visage banal est le plus difficile à identifier. »
LA LIGUE DES ROUQUINS
Arthur Conan-Doyle
Chapitre I
Mon obsession remonte au lycée.
Je peux cibler le moment précis où elle est née, le lieu, le trouble que j’ai ressenti, une émotion si violente qu’elle a remplie en une seule fois le vide que j’avais en moi. Un vide dont je n’avais pas conscience à l’époque, j’en avais pris l’ampleur ce jour-là quand d’un seul coup, je me suis senti vivant, comme si je n’existais pas jusqu’alors.
Je suis né à quinze ans.
D’abord, il faut que je me présente pour que vous compreniez bien ce qui m’est arrivé. Tout peut s’expliquer, il suffit de m’écouter, de me connaître, d’avoir un peu d’ouverture d’esprit et vous verrez si quelque part, je n’avais pas raison. Il faut savoir qui je suis pour me comprendre.
Mon enfance n’a pas beaucoup d’importance, j’ai grandi tout seul, au milieu d’une famille ordinaire, pas la meilleure, pas la pire non plus. Mon père était ouvrier dans la métallurgie, ma mère faisait des ménages le matin et gardait des enfants durant la journée. On ne roulait pas sur l’or, mais ce n’était pas la misère. J’avais en gros ce que je voulais et comme je n’étais pas exigeant, cela arrangeait tout le monde.
À l’adolescence, j’étais un gamin pas très sûr de moi, trop grand, j’arrivais à peine à mettre mes jambes sous les tables des classes, ma voix venait seulement de muer et j’avais ces fameuses modulations qui font rire depuis qu’Élie Semoun nous avait caricaturés. En plus, pas de chance pour moi, je fleurissais littéralement depuis un an. Mes joues commençaient à se transformer en cratère, lentement, mais sûrement. Je portais des lunettes depuis l’âge de sept ans, ajoutez à ce portrait des cheveux un peu filasses, et vous aurez l’adolescent moyen dans toute sa splendeur.
De plus, scolairement parlant, je n’étais pas une lumière. Mes parents avaient renoncé à envisager une carrière pour moi, je m’étais retrouvé en lycée professionnel dans la filière mécanique automobile. Il fallait bien me mettre quelque part, je n’avais pas seize ans. Bref, j’étais passé du statut de petit garçon à celui d’ado mal dégrossi, bourré d’hormones et de complexes.
Ma vie de lycéen était ordinaire, le bus le matin, la journée en classe et le bus le soir. Je passais quelques heures devant la télé ou le PC et le lendemain, la même routine recommençait. Aucun cours ne m’intéressait vraiment, tout glissait sur moi, j’étais l’élève moyen, sans odeur et sans saveur.
Puis il y eut l’événement. Quelque chose de banal en soi, mais qui résonne encore en moi, même des années après. Depuis le matin, on ne parlait que de ça dans la cour : une voiture avait renversé un gars du lycée en scooter, les pompiers et une ambulance étaient venus le chercher. On disait tout et n’importe quoi à ce propos, que le type avait la cervelle sur le bitume, qu’il était déjà mort, qu’il y avait du sang partout… Le sujet alimentait les conversations, en dehors des cours, mais aussi à l’intérieur, chacun avait sa version ; pourtant qui avait vraiment vu l’accident ? Personne en fait dans notre classe, aucun élève n’était présent, mais tous avaient leur mot à dire parce qu’un copain avait vu que, parce qu’il avait entendu dire que, et puis le pion avait raconté aussi que, il était à la grille donc…
Bref, c’était le sujet dont il fallait parler sinon, on était ringard. Vers dix heures après la récré, on était en train de s’installer en cours de Français, en continuant de raconter notre vie banale. La prof faisait l’appel tranquillement, tout en nous demandant à sortir nos affaires.
« Madame, on a frappé ! »
Évidemment, avec le bruit ambiant, pas moyen d’entendre le cognement furtif sur la porte. Aussi, dès lors que l’un de nous avait dit l’information, elle était répétée, amplifiée voire déformée. C’était une surveillante, assez timide qui commença à parler à peine entrée alors qu’il y avait encore plein de bavardages. La prof s’était énervée quelque peu et nous avait fait taire pour lire à haute voix le communiqué de l’administration.
« Ce matin un peu avant huit heures, l’un des élèves du lycée s’est fait renverser en scooter devant l’établissement scolaire par une voiture qui s’est enfuie. Tout élève qui a vu quelque chose concernant cet accident, qui pourrait donner un témoignage quant à l’identité du conducteur doit se rendre à la vie scolaire le plus tôt possible. »
À ce moment, il y eut pendant quelques secondes un silence de qualité.
La pionne était sortie très vite et nous nous étions regardés avant de reprendre l’information entre nous. Le cours était fini pour nous. On faisait semblant de suivre, mais pas un de nous ne s’en occupait. On avait une seule pensée à l’esprit : on cherchait un témoin de l’accident ! De quoi alimenter à nouveau les commérages les plus insensés. Sur ce point, je peux vous dire qu’une meute d’ados, je précise des garçons, était aussi encline à la rumeur qu’un groupe de filles. On cancanait autant.
Enfin, on, je veux dire surtout les autres, car je n’avais jamais grand-chose à raconter personnellement. L’histoire pourtant me passionnait, néanmoins, je ne savais pas l’exprimer. Il me manquait des mots, un ton, une assurance que je n’avais pas. J’écoutais les racontars des uns et des autres. Personne n’avait toujours vu quoi que ce soit, mais ils avaient tous un avis.
Quand on s’était retrouvé à la pause-déjeuner à la zone fumeurs, les racontars étaient repartis de plus belle. L’endroit était une sorte d’agora un peu miteuse en briques rouges, où les élèves qui fumaient se retrouvaient. Il y avait du monde ce jour-là parce qu’il faisait doux, du coup, les accrocs à la nicotine restaient plus longtemps, accompagnés de potes qui ne fumaient pas. Surtout, encore sous le coup de l’annonce de la vie scolaire, l’amphithéâtre bruissait comme un jour de marché. Les élèves s’énervaient tout seul en faisant de grands gestes. Et puis Damien prit la parole. Celui-là, je le connaissais depuis la maternelle et il représentait tout ce que je voulais être. Il était grand lui aussi, blond un peu décoloré avec une petite houppette sur le dessus, il avait des yeux d’un bleu marine qui faisaient craquer toutes les filles. En plus, il était assez bon en classe, enfin selon les critères du lycée professionnel. Il se tenait debout, la cigarette aux lèvres, en regardant les autres de haut et se mit à raconter sa version :
« Moi, j’ai vu l’accident, mon père m’avait déposé plus tôt ce matin, j’étais en train de traverser le passage piéton quand cette conne est arrivée comme une furie. Elle a à peine freiné, elle a écrasé le type et elle est repartie en trombe sans même s’arrêter.
– Quoi ? C’était une meuf qui conduisait ?
– Ben, oui, je l’ai bien vue. Elle était brune avec des longs cheveux, je peux même dire qu’elle avait un portable collé à l’oreille. Le bruit que ça a fait quand le scoot est tombé ! Il a raclé le sol sur plusieurs mètres, il y avait des étincelles et le gars était toujours dessus, il avait toute l’épaule ouverte, ça pissait le sang. C’était dégueu ! Et la fille, elle l’a regardé trois secondes et elle est repartie l’air de rien vers le centre-ville ! Une vraie salope ! Elle s’est même pas retournée ! »
Les conversations avaient cessé quand il avait commencé. Tous les autres l’observaient, fascinés. Je n’ai pu m’empêcher de regarder leurs yeux pendant son discours : il y avait de l’admiration, de l’envie et peut-être même un peu d’exaltation. Je devais avoir les mêmes.
« Tu vas aller le raconter au CPE ?
– Ben ouais, c’est ce qu’on doit faire, il faut la choper cette bonne femme. C’est pas bien d’agir ainsi ! »
Il était devenu un héros ! Et pas de la manière dont on aurait pu croire, il n’avait rien fait d’extraordinaire, non, il avait juste vu quelque chose dans une affaire importante. Cela semblait tellement facile, on était témoin d’un événement et soudain, on devenait quelqu’un !